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« Le mobilier anti-sdf, c’est la fausse solution à un vrai problème »

Joffrey Paillard, designer urbain-chercheur, a fait partie du jury de la 3e édition des Pics d’Or.

Vous avez fait votre thèse sur le design urbain et vous êtes rapidement tourné vers le mobilier anti-sdf que vous avez recensé sur une plateforme. Pourquoi ?

« C’est un sujet qui m’a intéressé dès 2013 et que j’ai eu l’occasion de pouvoir approfondir avec ma thèse, débutée en 2018. Dès que la Fondation Abbé Pierre s’est emparée du sujet, en 2019, j’ai été tout de suite suivi ce qu’elle faisait et disait. Ce que je remarque, c’est que le mobilier anti-sdf se développe partout dans nos villes, quelle que soit leur taille, avec quelque fois une esthétisation des dispositifs qui fait que l’on se pose de plus en plus la question : est-ce juste un objet architectural ? Il y a une invisibilisation des dispositifs anti-sdf avec des avancées techniques de plus en plus performantes, certains sont très visuels, affichant des contraintes d’usage, et d’autres, beaucoup plus intégrés dans l’espace public, dans le projet architectural de rénovation urbaine.

La ligne est de moins en moins franche et c’est là que le double discours est à étudier… et à dénoncer ! Participer au jury de la 4e édition des Pics d’Or a été une expérience très intéressante pour moi : il y avait autour de la table une pluralité d’acteurs et d’actrices qui travaillent sur la problématique de l’exclusion et des personnes qui ont connu et connaissent encore la rue. Ce double regard de professionnels et de personnes de la rue, c’est très important dans la démarche. »

Vous avez recensé aujourd’hui 266 dispositifs en France, un chiffre qui illustre une nette tendance à l’exclusion…

« Oui. Et aujourd’hui, le phénomène est global : à Londres, Montréal, Toronto, New York, on constate la même chose. On dénature le design urbain qui devient inhospitalier et violent alors qu’il doit être inclusif. Le design a au contraire ce fort pouvoir de changer le monde et l’habitabilité de nos villes ! »

Vous restez optimiste ?

« Oui, il le faut. Et il y a une autre vision du design qui est en train d’émerger, sans parler des mouvements militants qui se lancent un peu partout dans le monde, comme ceux que l’on a vu au moment des JO à Paris, cet été. Il y a également de plus en plus de géographes, de sociologues, mais aussi de photographes qui travaillent sur cette question du mobilier urbain anti-sdf, beaucoup d’étudiants qui cartographient ou font des mémoires. Cela permet de mettre en lumière sur ce phénomène, comme le fait la Fondation Abbé Pierre avec les Pics d’Or. Et le mettre en lumière, c’est pouvoir le dénoncer, dire que ce n’est pas possible. Le mobilier anti-sdf, c’est la fausse solution à un vrai problème. »