“Le 115, ça fait longtemps que je n’appelle plus.”
Adel a 42 ans et vit dans la rue depuis plusieurs mois. Àprès dix ans de vie "comme les autres", il erre dans son quartier, de jour comme de nuit.
Il tombe une pluie fine et froide en ce matin de novembre. La Boutique Solidarité de Bichat, dans le 10e à Paris, est comble. La porte s'ouvre et se ferme, on entend le bruit des douches et la machine à café tourne sans arrêt. Les salariés sont à l'écoute et restent disponibles pour chacun. À travers le dialogue, il faut décripter la souffrance et les besoins. La matinée passe très vite : chaque jour, "La Maison de la rue" accueille une bonne centaine de personnes en errance, toutes majeures.
Adel, capuche sur la tête et regard brillant, est arrivé il y a un petit moment. Il a ses habitudes à la Boutique et a réservé la douche. Il vient de promettre de changer de vêtements dans la foulée. Avec son café à la main, il discute avec qui veut.
Tous les soirs, je commence ma ronde.
"Le 115 ? C'est même pas la peine d'y compter ! Déjà, tu attends presque deux heures avant que ça décroche et après, on te demande qui tu es, où tu es et tu dois donner plein de renseignements. Et après ça, on te répond que tu n'as pas de place. Merci !" Adel est catégorique. Il a essayé et n'a jamais eu de place. Et pendant que l'on patiente au téléphone dans la cabine téléphonique, les "bonnes places" dans la rue sont prises rapidement... "Et dormir dans une cabine téléphonique, j'ai essayé, c'est impossible." L'hiver dernier, les appels au 115 ont augmenté de 30 %, avec un pic de demandes au mois de novembre. 60 à 70 % des demandes sont restées sans solution.
Alors Adel, comme la très grande majorité des personnes à la rue aujourd'hui, se débrouille autrement. Il court les rues de son quartier, de Bastille à Stalingrad, à la recherche d'une solution. Chaque soir, il passe prendre son duvet chez son copain qui tient une épicerie. "C'est pratique, il reste ouvert tous les jours jusqu'à 2 heures du matin."
Je marche jusqu'à ce qu'une porte de voiture s'ouvre
De trottoir en trottoir, Adel essaye d'ouvrir les voitures. Heureusement, il y a souvent une porte qui s'ouvre. "La police me connaît, elle ne dit rien si je ne fais pas de dégâts... Elle sait que c'est la seule solution pour dormir vraiment à l'abri." Parfois Adel a encore plus de chance, il arrive à entrer dans un parking souterrain. La solution idéale, selon lui. "Là, c'est ce qu'il y a de mieux, car c'est chauffé et que tu peux rester tranquille un bon moment. Mais c'est de plus en plus dur car il y a partout des caméras ou des vigiles."
Au 115, tu ne dors que d'un oeil
À chaque fois qu'il entend parler du 115, Adel n'a que de très mauvais échos. "Là-bas, il manque souvent des couvertures et tu attrapes des poux et des puces. En plus, certaines personnes arrivent à amener de l'alcool et sont violents. Sans parler des vols.... finalement, tu ne dors que d'un oeil et le matin, on te met dehors à 6 heures."
À la Boutique Solidarité, l'opinion des hommes présents ce matin-là est la même. Le 115, ça fait longtemps qu'ils n'y croient plus et qu'ils ont abandonné. "C'est une perte de temps. On décline son nom et on patiente pour finalement rester dehors."
Les lieux-refuge sont connus dans le quartier et chacun a ses petits plans qu'il partage ou non. Une porte cochère, une voiture, un pont et quelques squats... le quartier se vit différemment la nuit. Et quand parfois il ne reste plus que le 115 et qu'il fonctionne, il faut accepter des conditions d'hébergement difficilement supportables. Et mettre à mal sa dignité d'homme, déjà si altérée.