Trêve hivernale - Expulsions locatives : des politiques publiques de plus en plus répressives
Le nombre d’expulsions avec le concours de la force publique n’a jamais été aussi élevé : en 2023, 19 023[1] ménages ont été expulsés, soit une hausse de 17 % par rapport à 2022 et de 150 % sur ces vingt dernières années. La Fondation Abbé Pierre[2] redoute une année 2024 plus dramatique encore.
Ces records d’expulsions, après deux années d’accalmie liées à la crise sanitaire, sont les conséquences d’une absence de réponse politique face à la crise du logement et d’un durcissement des procédures. Ils s’expliquent notamment par une pénurie de logements sociaux, une hausse généralisée des loyers, une précarisation croissante des ménages, une politique publique de prévention des expulsions très insuffisante et, de surcroît, par une sévérité accrue des préfectures vis-à-vis des expulsions locatives.
Les ménages les plus vulnérables, pour qui les aides au logement sont essentielles, sont les premières victimes de l’affaiblissement des dispositifs de solidarité. Face à ce constat, la Fondation publie une nouvelle étude sur le maintien des aides au logement pour les ménages en impayé de loyer réalisée auprès de 66 associations partenaires. Elle révèle que :
• 81% des associations interrogées déclarent que les ménages accompagnés rencontrent souvent ou très souvent des difficultés pour entrer en contact avec la CAF et pour comprendre ses instructions ;
• 53% des structures répondantes considèrent que lorsque les ménages prennent contact avec elles pour la première fois, ces derniers font face à des problèmes de maintien des aides au logement.
• 46 % des associations interrogées déclarent que la suspension des aides au logement a souvent ou très souvent été la cause de la poursuite de la procédure d’expulsion des ménages accompagnés.
Parmi les raisons qui expliquent la suspension indue de ces aides figurent le non-respect par certaines CAF des délais et étapes prévus par la loi, une dépendance au bon vouloir du bailleur qui doit remettre des documents à la CAF et accepter un échéancier et des notifications non reçues ou non comprises par les ménages.
Ces manquements expliquent un grand nombre d’expulsions, alors que des mesures simples pourraient les éviter : favoriser l’accès à l’information des allocataires et des bailleurs sur la procédure ; élargir les modes de preuves de paiement du loyer provenant du locataire ; et former et outiller les CAF afin d’harmoniser l’instruction des demandes et l’application de la loi.
Au-delà d’une politique sociale et protectrice très insuffisante, les dispositions fortement régressives de la loi dite « Kasbarian-Bergé » de 2023 et les instructions de fermeté envoyées aux préfets ont eu un impact dramatique sur le terrain. Désormais, les ménages obtiennent moins d’échéanciers, de délais pour quitter leur logement, les procédures sont plus rapides et les préfets font peu de cas des difficultés des ménages ou de procédures judiciaires en cours[3].
« La Fondation appelle l’État à changer de paradigme, notamment en abrogeant la loi « Kasbarian-Bergé », en déployant des moyens conséquents pour renforcer l’accompagnement administratif et juridique des ménages, en développant et en facilitant l’accès aux aides du Fonds de Solidarité Logement et du fonds d’indemnisation des bailleurs, et en imaginant une véritable garantie universelle des loyers. Les personnes victimes d’accident de la vie ne doivent pas être stigmatisées et pénalisées mais aidées, afin que l’expulsion sans relogement ne soit plus la règle mais l’exception. » déclare Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
Pour plus d'informations, retrouvez ici :
- L'étude complète sur le maintien des aides au logement pour les ménages en impayé de loyer
- La synthèse de l'étude
- Le bilan de plateforme téléphonique "Allô Prévention Expulsions" pour l'année 2024
[1] Le chiffre initialement annoncé par le précédent ministre du Logement faisait état de 21 500 ménages expulsés en 2023 et 17 500 en 2022, avant d’être revus à la baisse d’après un rapport récent de la Cour des comptes. 19 023 ménages représentent près de 44 000 personnes, et certainement 2 à 3 fois plus qui partent juste avant l’expulsion pour en éviter le traumatisme. La DIHAL estime que le nombre global de personnes concernées est de 140 000 personnes.
[2] Qui a entamé des démarches pour changer de dénomination.
[3] De procédures devant le juge de l’exécution notamment. Pour une analyse plus détaillée, voir le bilan de la plateforme Allô Prévention Expulsion, 2024.
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