Dans l’enfer d’un logement surpeuplé
Petit revenu, petit logement. L’équation tombe comme un couperet, surtout sur les plus faibles. Des familles entières en font l’éprouvante expérience, et pas seulement dans les grandes villes.
Nous avons tous à l’esprit ces micro-logements, cas de figure extrêmes souvent associés à des profits scandaleux réalisés par ceux qui les louent. Mais ces situations intolérables ne doivent pas faire tomber dans l’oubli les centaines de milliers de logements trop exigus où s’entassent tant de familles et de ménages.
Les faits sont là : en 7 ans, le surpeuplement accentué a augmenté de 17 % et affectait 934 000 personnes en 2013, adultes et enfants. Derrière cette statistique, ce sont des vies pour lesquelles le moindre geste quotidien – se laver, se nourrir, dormir – devient une épreuve. Pour 12 millions de Français, le mal-logement est une réalité qui affecte chaque jour. Et parmi toutes les formes de mal-logement, la suroccupation est l’une des plus mal vécues aujourd’hui.
« On a 2 chaises pour 7. L’une reste pliée dans la journée. Pas de table, on ne pourrait pas la mettre. On a deux matelas qu’on pose par terre tous les soirs. Mon mari et moi dormons dessus, avec les deux plus petits. Les 3 autres couchent sur le sol. » Dormir par terre, manger par terre, écrire et lire par terre : Farida et les siens vivent ainsi depuis 2014. À 7 dans à peine 11 m2. « Quand j’ai rejoint mon mari avec les enfants à Paris, on s’est installé dans la chambre qu’occupait mon beau-frère en attendant mieux. Un jour il est parti, j’ai dû vendre tous mes bijoux pour payer la dette de loyer qu’il nous avait laissée. » D’origine algérienne, la famille a toujours été en règle et depuis 2 ans, le mari enchaîne les contrats de travail en tant que déménageur intérimaire ou agent de nettoyage. « J’ai toujours travaillé, au début sans contrat. J’ai vite cherché un autre emploi, car je voulais des fiches de paye pour chercher un logement. » Mais sans garant, le parc privé est resté inaccessible à la famille et leur demande de logement social reste sans réponse depuis 2015. Avec près de 1 300 euros par mois de revenu, prioritaire Dalo depuis 2016, la famille reste bloquée, emmurée dans une pièce vétuste, au moins deux fois plus petite que les paliers des étages inférieurs.
Au raz du sol
Au 6e étage, sous la toiture, l’air est irrespirable en été et en hiver, le froid passe sous la porte et par la fenêtre cassée. Le faux plafond est déformé tant il est chargé : la famille y entasse les vêtements et les jouets qu’on ne sort jamais. Des paires de chaussures débordent de l’unique tiroir sous l’évier et dans un coin une pile improbable de couvertures et de draps. L’étroite cabine de douche est inutilisable depuis 2 ans. Deux fois par semaine, la famille se rend aux bainsdouches, à cinq stations de métro. « Je fais des courses tous les jours, le petit frigo est bien trop juste pour nous. Comme nous mangeons par terre, je lave les draps et les couvertures toutes les semaines. » Farida dépense plus de 15 euros de lavomatic chaque semaine, impossible de faire autrement. « En plus, il y a les punaises… j’ai dû expliquer aux maîtresses les piqures partout sur les enfants, elles savent que je n’y peux rien. Les services d’hygiène sont venus nettoyer tout l’étage, mais elles reviennent. » Cet après-midi de février, deux des garçons sont au centre de loisirs. Ne reste « que » 5 personnes dans la petite pièce. Rayan, 4 ans, tourne en rond. Il sautille sur ses jambes. « Il est comme un lion en cage ; quand on sort, je ne peux pas le retenir ». Mohamed, 15 ans et 1 m 85, est couché sur le matelas. Debout, il passe à peine sous la soupente. Après le dîner, à 19 heures 30, il mettra son blouson pour aller travailler dans le couloir, à côté des toilettes collectives. Assis par terre jusqu’à 23 heures, il se lèvera toutes les 3 min pour rallumer.
Il sourit. La bibliothèque toute proche ferme tôt, et chez les copains, ça n’est pas possible. Personne ne sait où il vit. « C’est comme à l’armée ici, tout est calculé au millimètre ! » Farida garde son humour. Mais comment fera-t-el le au printemps quand la petite Yasmine marchera ? « Je voudrais avoir un logement normal pour avoir une vie normale. Payer un loyer, acheter un frigo, une table. » Farida continue de se battre, surtout depuis qu’elle sait que des appartements sont libres dans son quartier. « Les bailleurs sociaux ne veulent pas nous donner un F2 car c’est trop petit pour une famille nombreuse. Mais nous, un F2, ce serait un palace. » Fin février, l’Espace Solidarité Habitat de la Fondation qui suit la famille B. a fait un second recours Dalo. En 2016, 498 ménages en surpeuplement en Ile-de-France ont été accompagnés par la structure.
Gérer l’angoisse
En Bretagne, le parc locatif social est inférieur à la moyenne nationale (10,9 % contre 16 %) et en 2014, 7 200 demandeurs de logement social y vivaient en surpeuplement. C’est pour éviter une telle situation que la famille G. a décidé d’acheter. En 2010, elle s’installe en pleine nature, à Saint Maden, dans les Côtes-d’Armor. « On savait qu’on aurait de gros travaux à faire, mais ça ne nous faisait pas peur. Avec le travail à côté, tout le monde dans le hameau nous a dit qu’on n’y arriverait pas et que la maison ne serait jamais finie », rappelle Valérie avec un petit sourire. En deux ans, des travaux énormes ont été réalisés : toiture, maçonnerie, isolation, peinture… Si le couple a bénéficié d’un prêt de l’association Soliha pour réhabiliter le bâti, le système D et le courage ont fonctionné à plein pour le reste. « On a monté les murs autour des portes-fenêtres trouvées sur le bon coin et presque tous les matériaux sont achetés en solde. »
Après 2 ans de vie en mobil-home, les chambres sont terminées et le bonheur se lit sur les visages. Franck, 17 ans, a enfin un bureau et dort dans un lit à sa taille. Dans un coin du jardin, installées en demi-cercle pour contrer le vent, 3 structures définissent le « campement ».
45 m2 au total pour 7 personnes. Franck, l’aîné, dormait avec son frère dans une vieille caravane : « On devait sortir tous les soirs dehors pour aller se doucher dans le mobil-home. Par grand vent, la caravane tanguait pas mal... Mon frère avait peur des avions tellement on les entendait fort. »
Le reste de la famille dormait dans un des 2 mobil-homes isolés du sol tant bien que mal avec des bottes de paille. Les 2 filles dans une chambrette de 5 m2, le petit dernier dans un réduit à côté des parents. Le coin-toilettes tenait dans moins de 3 m2. « L’hiver, c’était inchauffable. Pour avoir 12°, il nous fallait une bonbonne de gaz tous les 5 jours, ça revenait trop cher. On a essayé les radiateurs à bain d’huile, mais ce n’était pas mieux. » En novembre dernier, il fallait casser la glace dans la pièce-cuisine avant de prendre le petit-déjeuner. Et l’été, la situation était dangereuse. « À 10 heures du matin, j’appelais les enfants du travail et leur interdisais de rester à l’intérieur, il faisait plus de 30° et c’était intenable. On était inquiet pour le gaz, on avait bricolé un système pour refroidir un peu la bonbonne. »
Même si la maison est encore inachevée, à l’étage, les enfants dorment enfin bien. Plus de bruit, plus d’humidité ; de l’espace pour jouer et travailler. De l’intimité pour les parents. L’escalier est posé, la cuisine sera fi nie avant l’été. Pendant encore quelques mois, la famille continuera de prendre ses repas dans le mobil-home face à la vieille voiture qui regorge de vêtements. Le plus dur est fait. « On est soulagé, on n’en pouvait plus. C’était du stress pour moi, j’avais peur qu’il arrive quelque chose », avoue Valérie. Puis, la bonne humeur revient : « J’ai calculé, on va faire environ 70 euros d’économie sur nos factures d’électricité en ayant bien plus grand ! » annonce-t-elle fièrement. Cet été, mobil-homes et caravane seront rénovés et revendus. Avec la vente des chiots et des cochons d’Inde élevés par Franck, ils finiront la buanderie. « Tout est prévu, nous n’avons aucune dette. » Oui, le bonheur est dans le pré.
La parole à Aïda Touihri
« On vivait les uns sur les autres »
Aïda Touihri, journaliste, a vécu pendant son enfance en Hlm à Villefranche-sur-Saône, près de Lyon. 3e d’une fratrie de 5 enfants à l’époque. Enfants et parents vivaient, alors à 7 dans un F2.
Comment la suroccupation a-t-elle marquée votre enfance ?
Jusqu’à l’âge de 12-13¬ans, j’ai vécu dans la même chambre avec 2, puis 4 de mes frères et soeurs. Il y avait des piles de linge partout, on ne pouvait pas jouer, il fallait aller dehors… Tous les soirs, on mettait des matelas par terre et dans la cuisine, la table servait en même temps au repassage, aux repas et aux devoirs. J’ai en mémoire le fait que j’avais toujours quelque chose dans mon champ de vision. Les années passant,on souffrait de plus en plus du manque d’intimité avec mes soeurs. Et pour les parents, ça n’était pas facile non plus. On avait l’impression d’être tout le temps en camping, même si nous n’étions jamais partis en faire ! Mon père faisait chaque année une demande à l’office Hlm pour un appartement plus grand et ça n’aboutissait jamais.
Adolescente, vous aviez conscience d’être mal logée ?
Oui, car j’entendais parler du manque de logements sociaux et des problèmes de mal-logement à la radio. J’avais conscience que nous étions logés dans un appartement tout à fait correct ; nous n’avions pas non plus de problème de chauffage et l’immeuble était en bon état. Ce dont nous manquions, c’était de place. Comme mon père ne savait ni lire ni écrire, je l’ai très souvent accompagné faire les démarches nécessaires à l’office Hlm. Là bas, on ne nous prenait pas vraiment au sérieux, il y avait toujours quelqu’un de plus prioritaire que nous, une famille dont la situation était plus urgente que la nôtre et surtout on nous disait qu’il n’y avait pas assez de logements. J’avais l’impression qu’on ne nous entendait pas... Alors, un jour, je devais avoir 12 ans, j’en ai eu marre et j’ai écrit une lettre à l’office Hlm pour raconter comment nous vivions au quotidien. J’ai tout dit et j’ai même souligné que, malgré nos conditions de vie, nous les enfants, nous avions quand même de très bonnes notes à l’école ! Je ne sais pas qui a lu mon courrier mais c’est vrai qu’un mois plus tard, on avait une proposition.
Un nouveau logement synonyme d’une nouvelle vie ?
Oui, indéniablement. On avait enfin de l’espace pour chacun de nous. Un bureau dans chaque chambre pour travailler, ça change tout quand on passe son bac ! On pouvait enfin s’isoler quand on le voulait. On était tous très contents : d’un seul coup on a vécu dans un très grand appartement, un F6, dans un autre quartier de Villefranche. C’était presque trop grand, surtout quand les 3 aînés, dont je faisais partie, sont allés faire leurs études ailleurs. Mais la famille a continué à s’agrandir. Au total aujourd’hui, nous sommes 8 frères et sœurs.